Huile de coupe vs Assistance cryogénique : suivez l’étoile du berger !

Trouver des substituts aux huiles de coupes nocives pour l’environnement et les opérateurs est devenu un enjeu pour l’usinage industriel. L’assistance cryogénique au C02 super critique (scCO2) semble la voie la plus prometteuse et les solutions commerciales se sont développées sur le marché. Pourtant, selon les usages, les résultats restent plus ou moins convaincants, l’état de l’art ne sachant pas encore proposer des modèles de compréhension et de prédiction des phénomènes à l’œuvre …
Comment savoir si l’assistance cryogénique au CO2 est réellement adaptée à votre contexte industriel et quels en seront les impacts sur vos process ? C’est l’objet du projet ScCRYO2 et de ses démonstrateurs « Vénus ». Comme l’étoile du berger, ils constitueront désormais un repère pour se guider dans la constellation des nouvelles solutions d’usinage !

 

Venus et le projet ScCRYO2

Sur Vénus, la pression est si élevée que le CO2 (qui représente 98% de l’atmosphère de la planète) s’y trouve sous forme de fluide super critique (cet état intermédiaire de la matière entre liquide et gazeux).
C’est ainsi que l’équipe de chercheurs, emmenée par Frédéric Rossi du LaboMaP a choisi de baptiser «Venus», les démonstrateurs de son projet de recherche ScCRYO2 sur les «procédés d’usinage respectueux de l’environnement et des personnes en utilisant l’assistance cryogénique».

Ce projet sur 5 ans qui rassemble les compétences de 4 laboratoires Carnot ARTS (LaBoMap de Cluny, LIFSE de Paris, LAMPA d’Angers, l’I2M de Chambéry) a été retenu en 2021 par l’Institut Carnot ARTS pour bénéficier d’un financement de recherche. Le CETIM, les Régions Pays de Loire et Bourgogne Franche Comté, ainsi que la métropole d’Angers et le CSC sont également partenaires du projet.

L’objectif est de disposer de données et de modèles fiables permettant de comprendre les phénomènes mécaniques, thermiques et tribologiques en jeu lors de l’usinage assisté par scCO2, afin d’améliorer la durée de vie des outils et la qualité des pièces produites, tout en préservant l’environnement et la santé des opérateurs.

 

scCO2 : un fluide magique ?

Les exceptionnelles qualités solvantes du C02 supercritique sont connues depuis longtemps, l’un des usages les plus familiers du grand public étant la production de café décaféiné, par la capture des molécules de caféine, retenues en suspension par le fluide.

Ce « super solvant vert » qui associe capacité de refroidissement de l’outil et accroissement de l’effet du lubrifiant est apparu comme une alternative à l’utilisation des huiles industrielles menacées par la réglementation européenne REACH et mises en causes pour leurs impacts environnementaux et sanitaires.

L’augmentation de la productivité est également un enjeu « 50 % de la consommation électrique de certaines machines est dédiée exclusivement à l’alimentation de leur système de refroidissement », rappelle Frédéric Rossi.

Les économies d’énergie générées par l’utilisation d’une assistance au CO2 recyclé sont donc potentiellement considérables. En cumulant cette économie avec la baisse des achats d’huile et les gains de temps liés à la suppression des opérations de nettoyage (par ailleurs très gourmandes en eau), on peut espérer de vrais gains de productivité qui suscitent l’intérêt de tous les industriels.

 

Applications biomédicales et aéronautiques

En 2016, la société Fusion Coolant System dont la solution de production de ScCO2 a été développée à l’Université du Michigan, commence à commercialiser avec succès ses machines et ouvre le marché.
« Pour le perçage du titane, notre assistance cryogénique permet de diviser par 3 les temps de cycle et de multiplier par 5 la durée de vie des outils », énonce Hakim Cheniti, Directeur Business Development pour l’Europe, «après les avionneurs américains, l’aéronautique européenne s’intéresse également au système».

Historiquement, ce sont les fabricants de matériel orthopédique qui ont tiré le marché : ¼ des machines Fusion Coolant actuellement en fonctionnement concernent ce secteur. « Cela garantit des pièces sans aucun résidu huileux, alors que les opérations de nettoyage, non seulement couteuses, ne suffiraient pas à éliminer toute trace de souillure dues à la porosité des matériaux », s’enthousiasme Hakim Cheniti. Autre piste pour le leader du secteur : l’usinage des polymères de type UHMWPE « car l’effet frigorigène empêche les bavures».

 

Passer de l’empirique aux certitudes scientifiques

Pourtant si l’on constate des résultats très probants dans les entreprises qui ont adopté le système, on ne sait pas vraiment les expliquer. Pire, pour certains usages, la solution est décevante …et on ne l’explique pas mieux ! Pour lever définitivement les verrous à l’adoption de ce nouveau mode de production, il était impératif de passer des aléas empiriques aux certitudes scientifiques.

« On ne sait améliorer que ce que l’on sait mesurer », assène Hakim Cheniti, avant de poursuivre : «Pour que cette technologie s’impose dans de nombreux secteurs, il est nécessaire de mieux la comprendre pour la fiabiliser ».

La réponse de Frédéric Rossi est claire : « Grâce à nos stations de démonstration Venus, il sera enfin possible de comparer sur plusieurs critères les différentes configurations d’assistance CO2 entre elles et/ou avec les pratiques d’usinage plus classiques afin de choisir les process les plus performants, en fonction des matériaux et des applications. »
« Le premier modèle Vénus 1 nous a permis de réaliser des tests sans aucun lubrifiant ou avec un faible ajout d’huiles classiques », précise Koffi Samuel Koulekpa, doctorant associé au projet. Une lueur gourmande dans le regard, il ajoute : «avec Vénus 2 et Vénus Cocktail, les prochaines générations de démonstrateurs qui seront opérationnelles d’ici quelques semaines, nous pourrons comparer plusieurs lubrifiants dissous dans le scCO2 et évaluer leurs effets sur le procédé. »

 

La fin programmée des huiles de coupe ?

Pour Koffi Samuel Koulekpa, l’assistance cryogénique ne va pas se substituer totalement aux huiles de coupe mais la solution est indéniablement appelée à se développer dans différents secteurs. Sur le stand du Carnot ARTS à Global Industrie, où le démonstrateur Vénus est présenté au grand public pour la première fois, il prédit : «dans quelques années, ces solutions seront beaucoup plus répandues dans les salons de ce genre et dans les usines produisant des pièces à forte valeur ajoutée mais les huiles ne seront pas totalement remplacées partout. »

Pour Frédéric Rossi, cela pose aussi la question de la « structuration de la filière de valorisation du CO2 autour d’une véritable économie circulaire participant à la décarbonation.».
Sur le stand du salon, se croisent d’ailleurs autour de Vénus, les nombreux industriels intéressés par les perspectives de l’usinage cryogénique, les fabricants de lubrifiants curieux des futurs résultats de Vénus Cocktail et les acteurs de la filière CO2, en veille sur cette nouvelle technologie qui pourrait dynamiser leur marché.

Hakim Cheniti conclut : « Depuis 2016, nous avons prouvé que la cryogénisation scCO2 changeait les règles du jeu dans de nombreux secteurs, mais personne ne connaissait encore vraiment les nouvelles règles du jeu ».
Ce sont ces nouvelles règles que sont en train de poser tous les chercheurs Arts et Métiers du projet ScCRY02 porté par le Carnot ARTS.

 

Affaire à suivre …

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